LIV – EXEGÈSE CINÉMATOGRAPHIQUE
LIV
Mots, couleurs, musique
et silences
Voici une série norvégienne de premier ordre.
LA VIE, le titre donne la ligne directrice du film magistralement réalisé parce qu’en choisissant avec soin et subtilité tous les matériaux techniques que l’art du cinéma ne peut donner, ce morceau de vie et des vies si bien choisies, il est arrivé à donner ce résultat d’art véritable où rien n’est de trop ni de moins, mettant en évidence le vrai, la vraie substance de la vie.
Tout a été mis en évidence grâce à l’exploit juste de tous les éléments nécessaires pour donner dans les dires, les silences et les couleurs ce qui vit chacun des personnages.
Nous sommes face à un film qui transmet un message précis.
Il est si bien réussi grâce aux capacités cinématographiques qui ne sont qu’une maîtrise parfaite de cet art et qu’elles sont arrivées à mettre en scène une profondeur existentielle faite d’un message littéraire qui raconte la fausse simplicité d’une vie qui se déroule en sourdine, en couleurs contrastées mises en scène à l’aide d’une toile fond superbe, celle d’un paysage qui a, lui aussi, une existence bien faite qui se conjugue avec les mots, les regards et les silences des personnages, ils sont tous des éléments littéraires similaires à ceux de La Femme Gauchère de Peter HANDKE.
L’erreur es de vouloir circonscrire les « personnages de fiction » à des archétypes d’un psychologisme dépassée, la psychologie, et la psychiatrie opère avec des êtres vivants pour identifier leurs maladies et les guérir, la littérature et le cinéma « de fiction » opère avec ces créations de l’esprit insérées dans une époque et une entité sociologique, dont l’auteur et aussi important que ses personnages, leur langage et l’idéologie de l’œuvre. Ce film a été indubitablement crée par des auteurs en possession d’une vaste culture, structuré comme une fiction romanesque faite cinéma, nous pouvons sans conteste l’analyser depuis une perspective littéraire en l’insérant nécessairement dans le champ et le contexte avec lequel doivent travailler en dialoguant les éléments proposés à la technique cinématographique.
LA MORT DU PÈRE
Un père intransigeant et qui se soucie de faire fructifier son entreprise pharmaceutique familiale et son hôpital est faussement présenté comme un tyran ; son idéal est le développement individuel de ses trois enfants vers l’excellence, cette loi ne peut être autrement qu’intransigeante, exprimée tout au long d’une VIE dans des modes d’action et des paroles qui ont un but.
Cette volonté de préservation de son héritage et elle est voulue par le père de son vivant comme un objectif basé sur l’absolu qu’aux incapables, faibles et profiteurs et de mauvaise nature ne peut que les révolter. C’est quand un père et chef de famille décède qui se dévoilent dans bon nombre de familles les natures profondes de chacun de ses membres, la mort du père dans ce film est l’élément déclencheur du conflit qui restait caché, en sourdine, générateur des haines retenues, avidité, désir de puissance et de contrôle sans être aucun de deux de cette fratrie de trois personnages desquels seule le personnage principal, Ingrid, chirurgienne et figure notable occupe une place prépondérante et elle est le socle et le pôle d’où des satellites tournent comme des planètes dans des orbites qui ne se touchent jamais et qui s’opposent sans aucun pouvoir ne leur interdise l’entrée dans leurs désirs de destruction.
Les paroles, les actes et les lieux sont des éléments qui se conjuguent autant validés par l’auteur qui dirige cette action comme l’identité propre et indépendante de chacun des personnages.
La mort du père est aussi l’élément déclencheur de l’action romanesque fatale, elle guidera jusqu’à la fin du 5ᵉ épisode la tragédie d’une famille jadis étriquée dans la forteresse hermétique du père qui contrôlait leurs vies, certes, mais avec un seul but, leur laisser un héritage dont chacun d’eux avait une « obligation » de perpétuer. Du tyran incompris, après sa mort, seule son unique seule fille des trois enfants, comprend qu’elle a un rôle inéluctable, un rôle de filiation devant lequel enfin, elle comprend qu’elle ne pourra jamais se dérober.
La mort du père éveille nonobstant, la vérité que tout père souhaite pour sa descendance, c’est le conflit principal qui dévoilera « la vie » de chacun des personnages en quête personnelle d’une raison d’exister que chacun d’entre eux seront emmenés à construire et faire face aux dépens de leurs propres erreurs et tâtonnements existentiels dus à leur immaturité.
Devant les « destinataires », ici les « spectateurs » reçoivent le message cinématographique, d’une façon particulière, nous devons utiliser un terme pour analyser les personnages de fiction, dans une exégèse littéraire celle-ci, est celle qui nous semble la plus indiquée dans ce cas précis, elle fut inventée par l’écrivain espagnol don Miguel De Unamuno, ils sont tous des « personajes agónicos. »
Les uns, sont présentés comme des êtres innocents, de bonne nature et naïfs, les autres rempliront le rôle de représentants du Mal absolu, fait de méchanceté, cupidité, égoïsme, mensonge et perversité.
L’avidité, pour s’éprendre de l’héritage à la mort du « patriarche » est habituel quand chez les membres d’une famille il y a des éléments de mauvaise nature et quand, au sein de la société, l’héritage n’est pas défendu par un bon avocat, ici, l’avocate qui est appelée à défendre le testament, à la mort du père, subit elle aussi, impuissante à la déchéance, elle aussi, comme réceptrice du mode opérateur sauvage d’un des fils.
Ce père si détesté, qui a construit un empire fait non seulement d’argent, de puissance monétaire et d’un classement social de privilège au sein du pays, ce père si détesté, a su créer un noyau de beauté, la villa familiale, qui devait rester un noyau d’héritage à perpétuer.
L’élément de la plus haute importance dans le jeu romanesque où surgissent des personnages secondaires qui s’impliquent dans l’action apportant d’autres pôles d’intervention qui enrichissent le jeu dramatique, elle l’est avec sa parole et ses regards réprobateurs des actions infâmes, la gouvernante, d’habitude fidèle témoin au sein d’une famille, dépasse son rôle de spectatrice et de servante tout au long de leur vie, elle assiste aux problèmes d’une famille, et les autres personnages jeunes, immatures à la recherche de leur place dans LA VIE, ils agissent dans l’action principale en apportant d’autres visions qu’entrent en « dialogue » avec les autres personnages de leur société où ils sont insérés.
Encore, la mort du père dans le cercle intime de la famille et aussi dans l’espace social, déclenchera toujours, quand il y a des biens qui suscitent la convoitise, l’irruption immédiate des prédateurs et des corbeaux, c’est le cas précis dans ce film et le socle dans lequel se soutient et se développe LIV.
La saison 4 annonce la tombée dans l’abîme et où se décident les événements tracés d’avance par les actants les plus perfides.
La maladie est un sujet proposé pour un développement détaillé assumé par le personnage principal, Ingrid, dont la maladie est insérée dans le contexte comme contraste et élément inéluctable de toute VIE.
Elle sera aussi un élément de discussion liée à LA MORT, il n’est pas anodin que l’auteur ait voulu la greffer au personnage principal Ingrid Nygaard, deuxième rôle existentiel qu’elle devra assumer et dont elle sort gagnante de la maladie dont elle souffre qui ne peut pas être plus terrible, une tumeur au cerveau, qui présage la mort, « la maladie des maladies » de laquelle personne ne sort sauve, renforcera ses forces et ses doutes, elles se transformeront en conviction d’une acharnée volonté de vivre, non sans laisser un message à sa fille, faite d’une magistrale leçon de vie :
« …Il ne faut pas avoir peur, dans la vie il y a des choses qu’on ne contrôle pas, il faut juste espérer que ça finisse bien. »
Des éléments d’une sauvagerie inouïe sont provoqués par le personnage qui représente la méchanceté faite homme dans cette fratrie. Ils conduiront au dénouement tragique de la fin.
Conclusion.
Il nous manque une série d’éléments essentiels comme le sont la connaissance des auteurs de cet script, nous ne pouvons que nous baser sur l’oeuvre elle même et nous avons appliqué pour son exégèse, des élément pris des théories d’exégèses littéraires, parce que tout film de qualité esthétique qui donne un message et LIV l’est, un film d’idées, inséré dans un contexte social, la volonté créatrice de l’auteur ou des auteurs est capitale.
Le message est parfaitement expliqué avec les théories de notre Mikhail Bakhtine, théoricien qui ne sera jamais dépassé pour nous dire comment devons nous aborder les œuvres littéraires de fiction, je le redis, un film de qualité emporte en soi les mêmes composantes frictionnelles d’un roman, mais la mise en scène est faite des techniques et théories propres à l’art cinématographique ce qui n’exclut en rien l’obligation que nous devons respecter pour l’insérer dans un contexte sociétal, où l’auteur et chacun des personnages à la même valeur dans l’expression du discours fictionnel.
Cette œuvre LIV répond comme une œuvre romanesque à la même conceptualisation énoncée par Bakhtine.
Il est nécessaire de fixer l’œuvre comme une création liée et dépendante d’un contexte social, et en dynamique concomitance avec toutes les autres manifestations esthétiques, c’est cette perspective qui agit dans l’analyse de la littérature et de l’art du cinéma comme doit être sans conteste à celle de tous les arts, elle est me semble-t-il, la seule perspective et manière d’aborde l’oeuvre et finir dans une exégèse claire et démontrée par les éléments mis en jeu : ils sont d’ordre linguistique, esthétique, formels, théoriques, de langue et de volonté esthétique de la création.
Pour une première fois, dans un « dialogue » érotique, surgissent des arrangements de quelques notes arrangées de Bach?, une seule fois, elles servent de toile de fond musical au dialogue amoureux.
La polyphonie des mots dits, les silences, le fond musical aux paroles, et les non-dits, forment et dessinent le portrait des personnages, cette polyphonie structurée répond à cette construction « volontaire »dans LIV, nous faisons acte d’une rencontre entre l’auteur, ses personnages son idéologie et son contexte sociétal.
Il n’existe pas de meilleur film que LIV, de toutes les séries venues du Nord qui puisse le dépasser par la force et la puissance créatrice, il a pu grâce aux acteurs d’excellence où réponse le socle de l’action, donner le maximum de réussite esthétique avec des éléments le plus restreints, mais mis en scène avec un choix d’excellence.
Carmen Florence Gazmuri Cherniak
NADEZHDA
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